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« Reste avec nous, car le soir approche et déjà le jour baisse ».

Dans une société qui tourne d’habitude  à une vitesse d’une extrême rapidité et où le rendement dépend du travail fourni, on a souvent envie, après l’effort, d’un repos bien mérité loin de tout bruit  et de toute contrainte. De nos jours, une certaine forme de déconstruction de la structure sociétale originelle, aboutit à une solitude voulue, un refus de tout embarras. L’adage n’a-t-il pas raison à ce sujet lorsqu’il dit que «  pour vivre heureux, il faut vivre caché. »

L’invitation faite par les disciples d’Emmaüs à cet inconnu qui les rejoint sur le chemin de leur désillusion après une longue marche est typique d’une culture orientale de l’époque. Aujourd’hui, l’étranger comme l’inconnu fait peur. Dans toutes les sphères de la société humaine et sur tous les continents, la culture de l’ignorance ou du refus de l’autre a fini de se faire toute sa place.

La page de l’évangile de ce jour, est comme un appel à ramer contre-courant de ces conceptions erronées d'une telle vie en société. La rencontre avec l’autre fût- il un inconnu, est porteuse de nouveauté, de richesse puisque le dialogue provoque des échanges et des découvertes.

 Luc l’évangéliste, nous place dans le contexte bouleversant de la mort de Jésus ainsi que l’annonce de sa résurrection.

Ces deux disciples ; Cléophas et l’autre dont le nom est méconnu, ont été témoins de tous ces événements douloureux du vendredi –Saint qui ont complètement anéantis leurs rêves de libération du joug romain et la réalisation de promesses messianiques. Pour eux, la mort du Maître correspond à la fin de leur aventure. Il faut donc retourner au point de départ, Emmaüs. Revenant sur tous ces événements, ils sont rejoints, sur la route de leur désespoir par un inconnu qui semble tout ignorer de ce qui s’est passé à Jérusalem : « De quoi discutez-vous en chemin ? » Tout  tristes, ils s’arrêtent et c’est Cléophas qui va répondre : « Tu es bien le seul étranger résidant à Jérusalem qui ignorent les événements de ces jours –ci ». Et le dialogue s’engage : « Quels événements ? ».Et tous les deux disciples s’exercent alors à parler de Jésus de Nazareth, de sa puissance prophétique à travers sa parole et ses actes, de sa condamnation à mort  par les chefs du peuple et de sa crucifixion.

« Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël » disent ils .Mais le comble, c’est le message de sa Résurrection rapporté par des femmes et qui sème la stupeur au sein du groupe des disciples.

De là s’engage une catéchèse. Le Ressuscité (jusque là méconnu par ces deux hommes aux cœurs endoloris et  à l’intelligence intérieure obscurcie par l’échec de  leur aventure humaine) se prête alors à un exercice de relecture des Écritures depuis Moïse et les prophètes pour les faire adhérer à la vérité sur la personne du Messie ; « Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! Ne fallait il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? »

De ce dialogue naît une proximité qui fait qu’au moment de prendre congé de Jésus, les deux disciples l’invitent à rester avec eux : « Reste avec nous … ».

Une rencontre comme celle qu’ils viennent de vivre avec cet homme qui les a rejoint sur la route du retour au bercail ne peut s’arrêter. Ils l’invitent à partager le repas avec  eux .Et c’est à la fraction du pain, signe de l’Eucharistie, que leurs yeux s’ouvrirent et qu’ils reconnurent leur Maître Ressuscité qui disparut à leurs regards. De cette théophanie s'opère un sursaut de foi et une forme de contrition : « Notre cœur n’est il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Ecritures ? ».

Dès lors, leur voyage qui était à son terme, prend un autre tournant. Il n’y a plus de temps à perdre, qu’il fasse nuit ou que le temps soit défavorable importe peu. Il faut se lever et repartir à Jérusalem pour annoncer à leur tour que le Seigneur est ressuscité et comment ils l’avaient reconnu à la fraction du pain.

Quelle belle issue, cette rencontre des disciples d’Emmaüs avec le Ressuscité ! De la méconnaissance, ceux-ci sont arrivés à la pleine connaissance du mystère du Christ.

Chers frères et sœurs, toute  rencontre peut transformer notre vie. Elle est le rendez-vous du donner et du recevoir. Celle avec le Christ la transfigure. Elle nous transforme et nous recrée de l’intérieur. L’expérience de l’apôtre Pierre est assez édifiante à ce sujet : ses attentes d’un messie guerrier, annihilées par l’arrestation de Jésus au jardin des oliviers, l’avaient poussé à trahir le Maître. Mais après la Résurrection et le don de l’Esprit –Saint, le voilà plus vigoureux et audacieux dans l’annonce de la Bonne Nouvelle. Avec force et courage, il témoigne devant les chefs du peuple : « Ce Jésus que vous avez fait mourir sur la croix, Dieu l’a ressuscité ». C’est ce témoignage habité par le feu de l’Esprit Saint qui motive son adresse aux juifs de l’époque et à nous chrétiens d’aujourd’hui, dans la deuxième lecture de ce jour : « (…) vivez donc dans la crainte de Dieu, cependant le temps où vous résidez ici –bas en étrangers. Vous le savez : ce n’est pas par des biens corruptibles, l’argent ou l’or, que vous avez été rachetés de la conduite superficielle héritée de vos pères, mais, c’est par le sang précieux, celui d’un agneau sans défaut et sans tâche, le Christ. » (1P 17-21).

En ces temps de pandémie chers frères et sœurs, un grand dilemme peut se réveiller dans chacune de nos vies : celui du vouloir rester seul et face à soi-même (impasse) ou celui du besoin de Dieu et de l'ouverture au renouveau.

Comme ces disciples qui rentraient à Emmaüs, la vie peut être pour nous un grand ramassis d’échecs, de déception. Les maladies, les guerres, les violences, la haine etc. … sont pleins de situations qui peuvent réveiller en nous un sentiment de dégoût et de frustrations. Ne trouvant plus d’issue, on se referme sur soi-même. Pas de possibilité de dialogue et notre vie s’atrophie de jour en jour, s’épuise et perd tout son sens.

Par contre, c’est dans ces moments de tumultes que ces mêmes paroles des disciples libèrent toutes leurs saveurs : « Reste avec nous ». Emmaüs, c’est aussi nos routes personnelles que nous empruntons au quotidien. Ces routes quelques fois sinueuses parce que marquées par la réalité de nos échecs, de nos souffrances, de nos désespoirs, de cette pandémie du Covid 19 mais où le seigneur ressuscité nous rejoint pour partager le chemin avec nous et nous proposer d’aller plus loin c'est-à-dire découvrir les délices de sa Résurrection et réchauffer notre foi et notre Espérance.

Que ce temps de confinement où nous invitons le Christ à faire une halte dans nos maisons soit une belle occasion de vivre une spiritualité de la rencontre et du partage afin que la lumière de la Résurrection dissipe nos ténèbres intérieurs et fasse transparaître le visage du ressuscité en chaque regard que nous croisons.

Que le Nom du Seigneur soit béni, toujours et à jamais. Amen !

P .Ferdinand SAMBOU