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Ce voile qui nous dévoile (Par A. Séraphin-Raphaël Ntab)

Dans cette contribution, l’abbé Séraphin-Raphaël Ntab, Vicaire Général du diocèse de Kolda, dissèque la récente controverse sur le port du voile dans les écoles sénégalaises. Loin d’être anecdotique, ce débat houleux met en lumière les tensions sous-jacentes d’une société en pleine mutation. Entre tradition et modernité, foi et laïcité, le Sénégal se trouve à la croisée des chemins. L’auteur propose une réflexion nuancée sur les enjeux identitaires, le dialogue interreligieux et la refonte du système éducatif, appelant à un sursaut collectif pour préserver l’harmonie nationale.


Depuis quelques jours, une question défraie la chronique sans manquer d’effrayer qui constate les réactions diverses et variées qu’elle ne cesse d’engendrer, çà et là, tantôt circonspectes et pondérées, tantôt d’une extrême violence verbale teintée de rancœur, de défiance et de discourtoisie. Il s’agit de la question du voile dans certaines écoles sénégalaises. Que cette question, aussi délicate que glissante, ait été de nouveau soulevée, après 2019, où elle avait secoué notre pays, dit à souhait qu’elle fait problème. Mais où se trouve le problème ? C’est la question qui se pose et s’impose à moi au regard de ce que tout le monde ne peut que constater avec regret. Oui, où est le problème ? À mon humble avis, et sans prétention aucune, cette question du voile, telle qu’elle est en train d’être abordée, vient dévoiler des craintes, des appréhensions et des aspirations de l’homo senegalensis dont la foi se décline au pluriel, chrétiens, musulmans et adeptes des religions traditionnelles, entre autres, y exerçant leur foi en toute liberté. Prise, à tort ou à raison, par plus d’un sous l’angle de la foi, elle me paraît dévoiler un réel problème d’identité que ces trois points de vigilance pourraient contribuer à résoudre :

1.⁠ ⁠La nécessité de redécouvrir le sens de la patrie

Le Sénégal nous appartient à tous, sans exception. La belle cohabitation interconfessionnelle et interculturelle qui le caractérise doit donc s’étendre jusque dans les méandres de notre vivre-ensemble devant toujours puiser aux sources du respect et de l’acceptation mutuels, de l’amour et du respect de la patrie, loin de tout ce qui pourrait en menacer ou en désagréger l’équilibre et la cohésion. Il s’agit, en d’autres termes, et pour tout sénégalais, de s’employer à trouver le juste mot et la juste attitude face aux diverses situations qui pourraient se présenter à nous.

 2. La nécessité de repenser le dialogue interreligieux

Le Sénégal a souvent été donné en exemple d’un dialogue interreligieux réussi. J’en veux pour preuve les nombreux acquis en ce domaine, fruit de la prise de conscience multiséculaire que nous formons un seul peuple (le Sénégal), qui marche vers le même but (l’épanouissement et la pleine réalisation de tous et de chacun) dans une liberté religieuse respectueuse de la panoplie de croyances qui pourrait s’offrir à nous. Il va sans dire que l’un des défis qui se posent à nous touche à notre façon de vivre ce dialogue interreligieux qui nous distingue aux yeux du monde. D’où cette question que nul ne saurait occulter, s’il analyse avec lucidité et objectivité la situation actuelle : le dialogue interreligieux ne souffrirait-il pas de quelque superficialité? Si non, pourquoi tous ces discours blessants dirigés contre telle ou telle confession? N’ y aurait-il pas lieu de faire une radioscopie sans complaisance du dialogue interreligieux en contexte sénégalais, aux fins de lui donner, plus qu’un simple nom, une âme véritable? En tout état de cause, la question du voile, en plus de dévoiler une part peut-être inconsciente, mais opiniâtre,  de nous-mêmes, me semble dévoiler  dans le même temps un réel défi pour l’harmonie de notre nation dont les fils sont, jusqu’ici, tellement unis, dans leur riche et belle diversité, qu’ils font penser à un sublime feu d’artifice aux couleurs, à la chaleur et à la saveur sénégalaises. Alors, ne soyons ni prisonniers ni  victimes des statistiques indéniables qui renseignent, sans ambages, sur la majorité et la minorité des croyants au Sénégal, mais plutôt artisans d’un vivre-ensemble toujours plus heureux.  Notre paix sociale vaut bien plus que des chiffres, fûssent-ils des plus exacts. ENSEMBLE, nous y arriverons.

3.⁠ ⁠La nécessité de repenser le système éducatif sénégalais

Le débat actuel se présente comme un prétexte providentiel pour repenser en profondeur, sans toutefois le dénaturer, notre système éducatif. Mais cet examen, plus que nécessaire, de ce volet capital pour le présent et l’avenir de notre nation, gagnerait à faire l’objet de la plus large concertation, impliquant tous les acteurs concernés, afin que des réponses claires et constructives soient apportées aux questions posées.  Ainsi nos fils et filles pourront-ils espérer grandir et étudier ENSEMBLE dans un cadre qui soit le plus propice possible à leur plein épanouissement. Voilà le Sénégal que nous sommes tous appelés à bâtir ; un Sénégal modèle du vivre-ensemble où les différences, qui ne sauraient faire le lit de divergences et de discordances destructives, sont moins une menace qu’une chance.

Séraphin-Raphaël NTAB

Prêtre et citoyen sénégalais