Homélie du Jeudi-Saint : « Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’au bout »
« Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’au bout »
Frères et sœurs bien aimés,
Depuis le dimanche des rameaux, l’Eglise est entrée dans la grande semaine sainte durant laquelle elle vit de manière particulière les mystères du Christ à travers sa Passion-Mort et Résurrection.
Le Jeudi-Saint , début du triduum pascal ( c'est-à-dire les trois jours qui précédent Pâques) est une grande immersion dans le mystère du Christ Serviteur qui lave les pieds de ses disciples , qui s’offre comme nourriture et breuvage à travers l’Institution de l’Eucharistie et qui fait don du sacrement de l’ordre( ministère sacerdotal) : « faites cela en mémoire de moi ». Une offrande qui atteindra son paroxysme au calvaire sur le bois de la croix, expression de l’Amour fou de Dieu pour une humanité pécheresse qu’il aime sans condition.
Cet amour traverse toute l’histoire biblique et les textes proposés à notre méditation en ce jour nous le révèlent.
La première lecture tirée du livre de l’Exode, nous situe dans le contexte historique de l’esclavage des hébreux en Egypte. Dieu qui avait fait alliance avec Abraham à travers la promesse d’une grande nation, vient au secours de ce peuple en captivité pour le libérer. Moïse, et son frère Aaron, figure de proue des enfants d’Israël sont chargés d’annoncer les prescriptions de YHWH qui veut libérer son peuple de l’esclavage.
Après avoir infligé à l’Egypte dix plaies à cause de son refus de libérer les israélites, Dieu va maintenant envoyer son ange qui traversera l’Egypte pour exterminer tout premier né. Seuls les fils d’Israël seront épargnés dans la mesure où ils suivent à la lettre ce que YHWH leur commande de faire : « Vous choisirez un agneau(…) ce sera une bête sans défaut, un mâle de l’année (…). Dans toute l’assemblée de la communauté d’Israël, on l’immolera au coucher du soleil. On prendra du sang que l’on mettra sur les deux montants et sur le linteau des maisons où l’on mangera. On mangera sa chair cette nuit là (…) Vous mangerez ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte. C’est la Pâque du Seigneur ».
L’agneau pascal constitue ainsi l’entité médiatrice qui rendra possible l’intervention de Dieu en faveur de la sortie des israélites d’Egypte. Son sang versé et marqué sur les maisons des hébreux les protège de la colère de Dieu. Dès lors, la Pâque marque un renouveau pour ce peuple, une sortie et une traversée d’une situation d’esclavage à la liberté qui le mènera vers la terre promise.
Cet agneau pascal qui, jadis avait pris la place du peuple juif lorsque le jugement de YHWH s’abattait sur l’Egypte, est une figure émouvante du Christ agneau de Dieu venu enlever le péché du monde.
Nous sommes à quelques heures de Gethsémani et du supplice de Jésus ; l’évangéliste Saint-Jean nous propose le dernier repas de Jésus avec ses disciples. A ceux-là avec qui il a mangé et bu depuis ses débuts en Galilée après le Baptême de Jean le baptiste, Jésus va manifester la profondeur de son amour à travers un grand geste de service et d’abaissement : « (…) il les aima jusqu’au bout ». Il se lève de table, quitte son vêtement, prend le linge de service pour laver les pieds de ses disciples. L’ « Heure » de vérité est arrivée ; son départ imminent impose un legs, un testament : celui de l’Amour de l’autre qui ne se rend possible que dans l’offrande de sa personne, de notre personne en faveur du prochain.
Le refus de Pierre de voir son Maître lui laver les pieds répond à la logique humaine de nos sociétés d’hier, comme celles de notre époque dans lesquels les petits sont au service des plus grands.
Pour Jésus, c’est la logique de Dieu qui s’impose : celle que l’apôtre Paul nous rappelle dans le mystère de l'abaissement du Christ (Ph2, 6-11). Celle que Jean veut nous faire découvrir à travers « l’Heure » du Christ : celui de la Passion-Mort et Résurrection « Vous m’appelez « Maître et Seigneur », et vous avez raison car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns les autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous ».
« Faire comme Jésus », voilà le grand message du Jeudi-Saint.
Une mémoire à perpétuer : d’abord dans le service désintéressé des frères et sœurs spécialement ceux qui se retrouvent au bord du chemin. Ensuite, à travers l’Eucharistie qu’il a institué en ce jour et qu’il nous demande de perpétuer en mémoire de lui : « Faites ceci en mémoire de moi ». A travers les espèces du pain et du vin, Jésus s’est offert comme l’agneau immolé qui verse son sang pour la multitude. Désormais, par son sacrifice, il accomplit l'une fois pour toute de la Rédemption de l’Humanité. Faire Eucharistie, c’est alors s’offrir comme une vivante offrande pour la Gloire de Dieu et le Salut du monde.
A travers les mains du prêtre et la prière de l’Eglise, reprenant les paroles du Christ, s’opère le miracle qui fait du pain et du vin, le Corps et Sang de Jésus, offert pour la multitude en rémission des péchés. (PE II).
Vous comprenez alors combien ce jour est important pour nous tous baptisés et en particulier pour les prêtres. L’institution de l’Eucharistie est aussi par ricochet l’institution du sacerdoce ministériel comme sacrement de service au bénéfice du peuple de Dieu.
NB : A noter qu’avec l’ecclésiologie de Vatican II, ce n’est pas simplement le prêtre qui célèbre et qui s’offre, mais c’est tout le peuple de Dieu qui célèbre et s’offre en sacrifice agréable à Dieu.
La personne du prêtre est cependant d’ordre capital.
Le Saint curé d’Ars le rappelle de façon extraordinaire : « C’est le prêtre qui continue l’œuvre de Rédemption sur la terre ». « Quand vous voyez le prêtre, pensez à notre Seigneur J-C. Le prêtre n’est pas prêtre pour lui-même, il est pour vous .
Aller vous confesser à la Sainte-Vierge ou à un ange. Vous absoudront-ils ? Vous donneront t-ils le corps et le sang de notre Seigneur ? Non la Sainte Vierge ne peut pas faire descendre son divin fils dans l’hostie(…) Oh que le prêtre est quelque chose de grand. Le sacerdoce, c’est l’amour du cœur de Jésus(…) laissez une paroisse vingt ans sans prêtre : on y adorera des bêtes ».
De nos jours chers frères et sœurs, l’institution sacerdotale comme la personne du prêtre sont sujettes à de nombreuses controverses. Les scandales qui secouent l’Eglise à ce sujet n’arrangent pas les choses. La douloureuse traversée du désert de l’Eglise due à ce contre-témoignage de certains de ses ministres a mis en surface plusieurs interrogations telles que : le célibat et le « possible »mariage des prêtres, l’ordination d’hommes mariés pour résorber la situation de manque de prêtres dans certaines parties du monde. L’Omerta au sein de l’institution ecclésiale sur tous les scandales sexuels a aussi alimenté un sentiment de dégoût à l'endroit de la personne du prêtre et même la désertion de nombreux baptisés.
Tout cela nous ramène chers frères et sœurs à nous rappeler de la nature humaine fragile des prêtres qui appelle de la part de chacun la prière et le soutien fraternel en leur faveur. Les prêtres ont besoin de vous. Le prêtre, il sort de nos familles ; il est pris d'entre les hommes, pour les hommes afin d’intervenir dans leurs relations avec Dieu : « Ex hominibus, pro hominibus ad Deum », selon la formule de l’épître aux hébreux,
Il requiert cependant de sa part, d’être au quotidien un homme de Dieu, aspirant à la sainteté dans l’offrande de sa personne au service du peuple de Dieu à la suite de son Seigneur dont il est la figure au sein de sa communauté.
Le Cardinal Robert Sarah, lors d’une messe d’ordination sacerdotale nous rappelait cela en ces termes « (…) le prêtre, c’est un autre Christ (alter Christus) ; je le répète, il est vraiment « Ipse Christus », le Christ lui-même ». Sa mission essentielle est donc de «les hommes vers Dieu en leur ouvrant les trésors spirituels dont ils sont terriblement en manque aujourd’hui ».
En cette grande fête du sacerdoce, vos prêtres, en plus de la solitude quotidienne liée à leur état de vie, subissent comme vous la séparation physique d’avec leurs communautés ecclésiales. La douloureuse situation de pandémie qui envahit l’humanité touche profondément leur être sacerdotal.
Ils célèbrent seuls dans leurs églises, leurs chapelles, leurs oratoires, portant la foi de l’Eglise en souffrance pour la déposer sur l’autel où Jésus, à travers le ministère sacramentel du prêtre (célébration de l'Eucharistie) s’offre en victime immolée pour le rachat de nos péchés.
Confinés comme vous, ils restent proches de chacun de vous dans la prière et la célébration des sacrements spécialement de l’Eucharistie. Ils vivent au cœur des réalités communes de notre humanité. Ils n’appartiennent pas à une époque révolue comme le pensent certains.
Le prêtre, c’est le contemporain de chaque époque. Comme le Christ, sa nature sacerdotale subsiste pour toujours puisque le Corps du Christ ne se construira et ne s’édifiera sans lui.
En ce début du triduum qui nous mène à la Victoire du Ressuscité, offrons frères et sœurs notre prière en faveur de notre monde en souffrance. Que par le miracle de l’Amour que nous sommes appelés à accomplir en vertu de notre baptême, nous participions à transformer la face de notre terre. Invoquons notre douce Mère du ciel, la Très Sainte Vierge-Marie, afin qu'elle vienne en aide à ses fils de prédilection , les prêtres.
« Ô Seigneur envoie ton Esprit qui renouvelle la face de la terre ».
BONNE FÊTE A TOUS LES PRÊTRES DU MONDE.
P .Ferdinand SAMBOU
Curé
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