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Entre Dieu et/avec/dans nous en période de confinement forcé mais légitime - Par Patrick Abou Sène Kabou, Postdoctorant en droit international public et droit comparé des religions...

La situation est assez inédite pour mériter d’être soulignée et surlignée. Enfants, dans le Ndiambour (région de Louga-Sénégal) mes frères, cousins et moi regardions souvent des films américains où des villes entières étaient confinées car frappées par une pandémie. Nous avions cette liberté de critique envers certains acteurs qui ne respectaient pas les instructions données par les pouvoirs publics. Le sort a voulu qu’aujourd’hui, ce soit à notre tour de vivre ces fictions d’antan. C’est dur de l’admettre, mais le film est devenu une réalité. Le COVID 19 loin d’être un conte de fée est une réalité à vivre en 2020. Elle a suscité une réaction distincte et atypique des populations qui vivent la réalité de ce qu’est le confinement.

Les curieux s’autobaptisant comme des intellectuels essaient de comprendre ce mot, les scientifiques cherchent à freiner la marche de cette pandémie, les juristes critiquent les mesures exceptionnelles prises par les États (État d’urgence, couvre-feu…), les religieux cherchent à donner un sens à cet évènement apocalyptique.

Cherchant à donner une lecture théologique car allant avec le contexte actuel (en période de carême plus précisément en Semaine Sainte), nous nous orientons vers la recherche du sens à donner à notre montée vers Pâques. Notre lecture se base sur une assise depuis la perspective augustinienne[1] des vertus théologales : Foi, Espérance et Charité.

Le titre de notre réflexion est, et nous anticipons la réaction légitime de certains qui pourront nous poser la question de savoir pourquoi ce titre, Entre Dieu et/avec/dans nous en période de COVID 19. Je m’explique en laissant place à toute possibilité de contradiction argumentée qui est le propre d’un chercheur.

En propos liminaire je dirai que je pose ici le débat de la Trinité, cœur même de notre vie de catholique. En cernant la problématique de ma réflexion sur ce titre, je l’admets assez provocateur, je rappelle notre fondement au Père (l’Unique Créateur et nous son peuple) qui par la puissance du Saint Esprit (Dieu dans nous), nous a révélé par sa grâce le visage du Fils qui est l’Emmanuel (Dieu avec nous).

Cette période d’enfermement non volontaire que nous vivons actuellement (confinement) doit réveiller en chaque apprenti de la Bonne Nouvelle ce qu’il est lui-même et de qui il tient ce don qu’est la vie sur terre.

Dans l’optique de mieux organiser notre réflexion, nous commençons par le fondement de tout : la foi. La foi est perçue ici comme le point de départ. Elle décrit une relation d’appartenance (dialectique verticale : entre l’Homme et son Dieu), de confiance mutuelle (dialectique horizontale : entre les Hommes) et donne la sensation de tranquillité et de sérénité. L’amour est une manifestation de cette confiance, Deus Caritas Est[2], nous dirait le Pape émérite Benoit XVI dans son encyclique.

Notre venue au monde est le fruit d’un amour et d’une éducation entre deux êtres (nos parents) et d’un don inestimable de Dieu le Père qui a fait le pari de nous donner un souffle et de lui ressembler[3]. Ce don inestimable de Dieu le Père va jusqu’à offrir à l’hôtel de nos péchés et nos imperfections, son Fils pour nous racheter. Son Fils (Dieu avec nous) est l’incarnation de notre espérance et notre charité envers nos semblables (tout être humain).

En cette période de COVID 19 où le maître mot est labelisé #restezchezvous, le confinement doit avoir pour nous les fidèles en cette montée vers Pâques la même signification que celle de Saint Ignace dans l’esprit de la retraite spirituelle. Ceci dans le but de nous préparer à « mourir » (période de doute, de trouble) afin de ressusciter avec le Christ au troisième jour. En d’autres termes, il consiste à savoir vivre dans la foi cette traversée du désert afin de mieux préparer la victoire de la vie sur le mal et la maladie. Notre foi en Christ est la lampe de notre postérité, de ce pouvoir donné à chacun d’entre nous, à travers le baptême, de vaincre le mal et surmonter la maladie.

Une foi qui consiste à réaffirmer tout haut la belle formule de Saint Cyprien « Extra Ecclesiam Nulla Salus »[4]. Il convient de comprendre cette affirmation comme une manifestation de la solidité de ce lien de confiance établie entre Dieu le Père et nous à travers le Christ[5] et non pas dans le sens d’une défiance ou d’un parallélisme avec une autre religion. C’est dans cette perspective que les deux autres vertus théologales à savoir l’Espérance et la Charité, coulent de source.

Notre montée vers Pâques qui coïncide avec cette période de COVID 19 se fonde sur l’Espérance que nous avons sur le fait que le Christ ne nous laissera jamais seuls. Notre Espérance est une attente du regard et d’un geste paternel de la part de l’Être Suprême. Il ne s’agit ici aucunement d’une peur ou d’une crainte qui nous pousseraient à songer à une Arche de Noé bis, mais d’une joie, d’un désir immense et intense de rencontre avec le Christ[6]. La Charité est le chemin, l’effort quotidien que nous ferons pour surmonter tous les obstacles et arriver à cette rencontre avec la Trinité.

À la lumière de cette démarche, une question mérite d’être posée : quelle répercussion a le COVID 19 sur nous ? Un temps trouble auquel il convient de répondre avec la lumière de l’Esprit en montrant à toute l’humanité ce don inestimable du Père à sa créature.  Nous sommes le sel de la terre aimons nous dire. C’est l’occasion pour nous de montrer que la charité, la solidarité a un sens dans nos vies.

L’autre n’est plus un lointain personnage ou une autre religion ; il est ce frère dont le Christ nous demande de prendre soin. Baruch Spinoza dira, pour donner beaucoup plus de sens à cette notion de solidarité, que l’autre est notre miroir[7].

Pour atteindre cet objectif, le fer de lance de la démarche de tout catholique est, à mon avis, la confession. La confession ou la conversion est l’acte par lequel le croyant se reconnaît pécheur devant Dieu, s’assume comme pécheur et s’amende pour mener à bien son pèlerinage sur terre. Chez nous les catholiques elle répond à une intimité avec le prêtre digne représentant du Christ sur terre à qui nous confions nos manquements dans le but de recevoir son pardon et sa grâce.

La lutte contre le COVID 19 au-delà de ses obligations légitimes et de ses recommandations des pouvoirs publics, nous interdit tout rassemblement. À mon avis, la repentance
devant Dieu donc devant les Hommes nous poussent à nous rapprocher de nos plus proches voisins et de leur témoigner ce sentiment, cette nécessité de reconnaître nos limites. C’est dans ce sens que notre rôle de sel de la terre s’oriente, et c’est précisément dans ce sillage que Saint Augustin invite les croyants et les non croyants, vers le Vivre ensemble, le respect mutuel. Il nous appartient, nous catholiques du monde, d’être la lumière et le sel de ce monde affaibli par cette pandémie, en menant une vie exemplaire, une attitude sans reproche avec les frères des autres communautés religieuses. Une vie dans laquelle l’Homme serait obnubilé par « l’amour de la bonté de Dieu »[8] et « la douceur ineffable de sa grâce »[9].

Ce texte est un appel à faire front commun, chacun enraciné dans ses appartenances politiques et religieuses, et à mettre l’Humain et la solidarité au-dessus de tout.  Il constitue une invitation à un Vivre Ensemble, à la charité, à la solidarité dans un monde où « « les justes »[10] même ont le plaisir à apprendre des fautes des pécheurs, non par malignité, mais par ce qu’ils sont heureux de leur conversion et leur repentir »[11].

Bonne montée vers Pâques !



[1] Lire à titre d’information Saint Augustin, « Les confessions », Édition Flammarion, 1993, 380 pages.

[3] « La Bible de Jérusalem », L’œuvre des six jours, Genèse 1, 27, traduite en français sous la direction de l’École biblique de Jérusalem, Éditions du CERF, Avril 1998, p.34.

[4] « Hors de l’Église point de salut ».

[5] Lire à ce propos Bernard SESBOÜE, « Hors de l'Eglise, pas de salut ». Cet axiome faussement clair (Yves CONGAR) », Études, vol. Tome 401, no. 7, 2004, pp. 65-75.

[6] Lire à ce propos Robert SCHOLTUS, « L'ambition spirituelle. Ou la vie chrétienne au risque du désir », Études, vol. Tome 408, no. 1, 2008, pp. 61-68.

[7] Lire à titre indicatif, Alain VUILLOT « Amour et totalité dans l'éthique de Spinoza », Le Philosophoire, vol. 11, no. 1, 2000, pp. 157-168.

[8] Saint Augustin, « Les confessions », Édition Flammarion, 1993, 380 pages.

[9] Ibid.

[10] Ceux qui se considèrent comme tel

[11] Ibidem