Les Évêques de la Conférence épiscopale du Sénégal, de la Mauritanie, du Cap-Vert et de la Guinée-Bissau ont publié, le mercredi 14 février 2024, une lettre pastorale sur l’engagement des laïcs dans l’Église et dans la société. Cette lettre, intitulée « Vous êtes le sel de la terre […] Vous êtes la lumière du monde »,aborde une panoplie de questions inhérentes à la vie de l’Église dans le monde à travers le rôle irremplaçable qu’y jouent les fidèles laïcs, dans la belle et riche diversité de leurs états de vie, de leurs appartenances socioculturelles et politiques, de leurs charismes et de leurs niveaux d’engagement (n.1). Dans un monde en pleine mutation et profondément marqué par des crises multiformes, défi pour l’Église de notre temps, les Évêques exhortent les fidèles laïcs à être des porteurs d’Espérance, cette vertu théologale avec la Foi et la Charité, en assumant pleinement leur mission de baptisés et envoyés aux quatre vents (n.n. 2-3). N’est-ce pas, là, une juste allusion au Synode sur la synodalité convoqué par le Saint-Père François, et où la coresponsabilité dans la mission figure en bonne place ? (n. 4). En effet, l’on ne peut que se réjouir qu’il ait été rappelé aux fidèles laïcs, qui abattent déjà et de plus en plus un travail considérable à plusieurs niveaux de la vie de l’Église et de la société, que la mission d’évangéliser n’est pas exclusive aux évêques, aux prêtres, aux religieux et aux religieuses, mais qu’elle trouve aussi et équitablement en eux, qu’ils soient hommes, femmes, jeunes ou enfants, un écho des plus favorables en raison de leur baptême, qui les envoie transformer le monde, en y répandant partout la Bonne Nouvelle (n.n. 6-7).  Il ne manque pas de textes magistériels qui confirment cette égalité dans la mission (n.8). Il va sans dire que les implications du baptême sont encore à découvrir et à actualiser sans cesse par le moyen d’une catéchèse qui va s’approfondissant, pour une annonce toujours plus efficiente de l’Évangile, catéchèse et évangélisation étant intrinsèquement liées, dès lors que la pratique de la catéchèse doit nécessairement déboucher sur le témoignage, semence de chrétiens (n.n. 9-10). Mais comment arriver à un tel résultat, si la formation des laïcs n’est pas renforcée ? Voilà pourquoi les Pères Évêques invitent à lui redonner ses lettres de noblesses à travers des cadres variés et accessibles à tous (récollections, sessions de formation en Communauté Ecclésiale de Base, en paroisse, etc.). Les nombreuses et belles initiatives, à ce propos, sont à saluer, qui impliquent même, parfois, des fidèles laïcs dans la formation de leurs frères et sœurs (n. 11). À preuve l’engagement des enseignants et catéchistes laïcs, entre autres formateurs, et la salutaire dynamique constatée dans plusieurs diocèses en matière de formation (n. 12). C’est d’autant plus urgent que les cas d’apostasie, face à la pression religieuse, économique, sociale ou matrimoniale, et de déperdition de la foi sont notées çà et là, à cause de l’ignorance des choses de la foi, d’une certaine superficialité et de la léthargie des Mouvements d’Action Catholique, pourtant pleins de valeurs éducatives aussi bien pour les enfants que pour les jeunes (n.n.13-14 ; 22-23). Ceux et celles qui, malgré tout, gardent leur foi inaltérée sont à encourager. En outre, la question de l’inculturation, qui dit le dialogue permanent entre l’Évangile et nos différentes cultures, mérite un examen particulier, afin qu’il n’en soit ni ébranlé les fondements ni détourné les objectifs, tous tenant au Christ qui nous libère de nos pesanteurs et de nos angoisses existentielles (n.n. 15-16). Parmi des défis auxquels sont affrontés les fidèles laïcs figure celui de la bonne conduite à tenir face à la prolifération des mouvements de spiritualité qui, en certains endroits, ne sont pas sans incidences regrettables (n. 17). S’arrêter sur cette question est certainement, pour les Évêques, une occasion de saluer l’apport considérable du Renouveau charismatique dans la vie de nombreux baptisés. Ce mouvement, qui est et reste « une chance pour l’Église », selon l’expression du Pape François et de ses prédécesseurs, a, en réalité, transformé la vie de plus d’un, réconciliant ainsi un nombre incomptable avec l’Église et son enseignement : c’est, pour les uns, la conversion ou l’adhésion à la foi catholique, et, pour les autres, un engagement véritable à servir l’Église. Cependant, la prudence et la vigilance restent encore de mise au regard des dangers que courent certains groupes de spiritualité d’inspiration charismatique. En plus clair, il sied, pour leurs membres, de veiller à  « se prémunir contre la tentation du repli sur soi, le ressentiment contre les structures traditionnelles de l’Église, le fondamentalisme » renforcé par une lecture parcellaire, sélective, orientée voire intimiste des Saintes Écritures. À ces dangers, tous aussi réels les uns que les autres, s’ajoutent ceux de « la recherche systématique du merveilleux » et d’un « attachement aveugle » à des personnes qui finissent par s’ériger en « gourous », en omnipotents ou en surhommes. Un sens aigu du discernement et une bonne formation biblique et doctrinale s’imposent, afin d’écarter tous ces risques souvent fruit du fidéisme, cette absolutisation de la foi qui nie tout apport de la raison dans l’acte de croire. De pareilles dérives, sources de réelles difficultés non seulement spirituelles, mais encore pastorales et ecclésiologiques, sont à prendre en charge et vigoureusement combattues comme menace pour la foi.

Il convient donc de chercher à aller plus loin et plus en profondeur dans la compréhension de la foi catholique, par une formation solide qui parte des familles, « églises domestiques et cellules de base de la société », et se prolonge à tous les âges de la vie des baptisés. Car la restreindre à l’éveil de la foi, sans approfondissement ultérieur, ne peut qu’être préjudiciable et engendrer des chrétiens sans envergure (n.n. 18-20 ; 36). L’Église trouve sa plus belle expression lorsque les baptisés restent solidement attachés à l’enseignement de son fondateur, Jésus Christ, qu’elle rend présent. D’où l’importance, encore rappelée, de la formation des fidèles laïcs qui, tout en s’intéressant de manière particulière à la doctrine, doit aussi s’ouvrir à la coresponsabilité dans la mission. Ce n’est pas excessif que d’y insister. Car l’heure est à une réelle conversion de notre rapport à l’Église, s’il est passif ou empreint de jugement, et de nos structures paroissiales (Conseil pastoral paroissial, Conseil pour les affaires économiques, etc.) souhaitées être de véritables plateformes de dialogue, de concertation et de discernement collectif, chacun devant y garder sauves ses prérogatives tout en jouant pleinement son rôle. C’est le lieu de rappeler la nécessité de taire les intérêts personnels et égoïstes, pour se conformer à l’esprit de service tel que le Christ Serviteur nous l’a enseigné en Luc 22, 27 (n. 21). Ce service, prolongement de l’œuvre du Christ dans le monde, s’étend aux champs social, politique, économique et écologique, où la marque déposée du chrétien est attendue, contrairement à cette perception plus que regrettable de la vie du chrétien qui voudrait qu’il s’en tienne le plus  loin possible. Dans un contexte quasi général de détérioration progressive des choses sociale, politique, économique, morale, environnementale et écologique, le laïc a mission de matérialiser son engagement chrétien par le juste mot et la juste attitude qui s’inspirent de l’Évangile, Bonne Nouvelle pour tous les vivants. C’est dire qu’il n’y a aucun antagonisme entre les valeurs chrétiennes et les divers domaines de la société. Bien au contraire, c’est dans le monde, et à partir des situations variées de l’existence humaine, que ces valeurs sont appelées à se consolider, à s’actualiser et à se proposer comme sel et lumière ; autrement dit, comme source de libération et de réalisation des aspirations les plus hautes de l’homme. Il s’agit, pour le fidèle laïc, de contribuer de la manière la plus active possible à l’édification d’un monde meilleur. La doctrine sociale de l’Église s’y penche amplement (n.n. 24-33). Être « sel de la terre et lumière du monde », implique, pour le chrétien, qu’il soit transparent du Christ aux mille visages que reflètent, à la fois, les petits et les grands, les hommes et les femmes, les pauvres et les riches, les malades et les prisonniers, les migrants et les réfugiés. Le chrétien se trouve donc dans l’obligation d’être en plein cœur, et jamais aux périphéries, des nouveaux aéropages de la société, où se jouent le présent et l’avenir de l’humanité (n.n. 34-35).

En guise de soutien et d’inspiration , les figures emblématiques de la Vierge Marie, femme et modèle de vie spirituelle, et de Saint Joseph, homme de silence, d’écoute et de docilité à l’Esprit-Saint, sont proposées aux fidèles laïcs dans leur mission, qui allie pratique religieuse et engagement concret dans l’Église, dont ils sont membres à part entière, et dans le monde, lieu de déploiement de leur être chrétien (n.n. 36-40).

Abbé Séraphin-Raphaël NTAB, Vicaire général du diocèse de Kolda et Professeur de Théologie Dogmatique