JESUS, PREMIER SACREMENT
I - JESUS, PREMIER SACREMENT
Pour comprendre le sens des sacrements de l’Église, il faut partir de l’Incarnation du Seigneur. Par l’Incarnation, il n’y a plus de séparation entre Dieu et l’homme, entre le spirituel et le matériel. Si la définition du sacrement comporte un “signe sensible”, investi d’une force spirituelle, l’Incarnation nous amène à dire en toute vérité que le premier sacrement est Jésus lui-même. Son corps d’homme, sa nature humaine ont rendu Dieu “sensible”. Et à travers ce corps d’homme, se manifeste une force divine qui va non seulement guérir les malades et ressusciter les morts, mais faire de chaque personne humaine un membre de son corps appelé à la résurrection et à la vision éternelle de Dieu (VIE ETERNELLE).
C’est ainsi que Jésus est le premier sacrement ; par lui, on peut mieux comprendre la réalité des sacrements vécus dans l’Église. Nous comprenons qu’il y faut un corps ou plus largement une matière (la matière du sacrement), matière qui peut être investie d’une force spirituelle comme en Jésus dont l’humanité est unie à la divinité.
Cela modifie radicalement l’approche de la vie sacramentelle. On a parfois “détaché” les sacrements de la personne du Christ en ce sens qu’on en fait parfois comme des moyens plus ou moins magiques où, ayant posé un signe, on en retire quasi automatiquement un résultat. Bien sûr, ce n’est pas l’enseignement de l’Église, mais la façon dont on a présenté parfois les sacrements, a plus ou moins favorisé une telle manière de le comprendre. L’efficacité d’un sacrement n’est pas comme une potion magique qu’il suffit d’absorber pour en ressentir les effets. Le mystère des sacrements est d’un tout autre ordre, il se rattache au mystère de l’incarnation (Jésus qui prend chair dans le sein de la Vierge Marie).
Il convient donc de revenir au Christ. Nous avons dit que la personne de Jésus dans l’Incarnation était le premier et ajoutons l’unique sacrement. En effet la puissance divine s’est manifestée en ce Jésus de Nazareth et cette présence comme son action est indépassable. On peut donc dire que les sacrements ne sont que le déploiement dans le temps et l’espace de ce premier sacrement qu’est la personne de Jésus. Ou encore que les sacrements sont porteurs d’une puissance transformante qui émane du corps du Christ. Je pense au récit de la guérison de cette femme qui souffrait d’une hémorragie depuis douze ans : “Cette femme donc avait appris ce qu’on disait de Jésus. Elle vint par derrière dans la foule et toucha son vêtement. Elle se disait : Si j’arrive à toucher au moins ses vêtements, je serai sauvée. À l’instant, sa perte de sang s’arrêta et elle ressentit en son corps qu’elle était guérie de son mal. Aussitôt Jésus s’aperçut qu’une force était sortie de lui” (Mc 5, 27-30). Dans ce récit nous voyons qu’une puissance transformante émane du corps de Jésus. Et la foi de la femme va relier sa vie blessée à la puissance du corps de Jésus.
La mission terrestre de l’homme Jésus s’est achevée avec son arrestation et sa mort en croix. Mais nous croyons que ce Jésus est vivant, qu’il est ressuscité, qu’il est pour toujours dans l’intimité du Père sans jamais quitter ses frères. Cette dernière phrase est essentielle, elle se fonde sur la parole même de Jésus, déjà à propos de la prière qui sera exaucée : “Car, là où deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux” Mt 18, 20. Et juste avant de quitter visiblement ses amis, il leur affirme : “Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps” Mt 28, 20. C’est pourquoi, ce premier sacrement qu’est la personne de Jésus, se prolonge dans la réalité du ressuscité. C’est fondé sur la parole du Christ que l’Église nous parle de la présence réelle du ressuscité. Cette présence se réalise dans l’assemblée des disciples de Jésus, dans la proclamation et la méditation de sa parole, et bien sûr, de façon “éminente” comme le dit le magistère (l’enseignement) de l’Église, dans le pain et le vin consacrés (Eucharistie).
On peut donc dire que ce sacrement qu’est Jésus de Nazareth continue dans son corps qu’est l’Église. L’Église ne fait que rendre présent Jésus vivant, continuant son action auprès des hommes comme il l’avait fait tout au long de sa vie terrestre, mais par la médiation d’un “signe sensible”, en l’occurrence, la communauté des croyants, l’Église. Nous pouvons dire que l’Église tout entière est “sacrement”. C’est toute la communauté des croyants qui a mission de prolonger l’action de Jésus, non par leur propres forces, mais parce que Jésus lui-même est au milieu d’eux, est avec eux comme cela est dit explicitement dans l’évangile (Mt 18, 20 ; 28, 20). Comme le dit l’apôtre Paul, nous sommes en vérité “le corps du Christ” (1 Co. 12, 27). L’Église est donc “sacrement” dans la mesure où, “corps du Christ”, elle signifie la puissance libératrice de Jésus, la “tête de ce corps” : Dieu “l’a donné, au sommet de tout, pour tête à l’Église qui est son corps” Eph. 1, 22-23. L’Église-sacrement a donc la mission, soutenue par l’Esprit Saint, d’être “signe” de l’action libératrice de Jésus, d’être signe de cette libération que Jésus a manifestée à travers toute sa vie.
Mais l’Église a reçu de son Seigneur des signes particuliers porteurs de l’action du Christ en faveur des hommes. Ce sont les sacrements qui sont comme une action de Dieu par son Fils continuant sa mission dans le monde. De la même manière que Jésus, pendant sa vie terrestre, accueillait, pardonnait, guérissait, relevait, appelait, de la même manière Jésus ressuscité par la médiation du signe qu’est l’Église, par la médiation des signes donnés à l’Église (Les Sacrements), continue à accueillir, à pardonner, à guérir, à relever, à appeler. Il faut donc comprendre les sacrements dans la continuité de l’Incarnation. D’autre part, ces “signes” porteurs de l’action de Dieu par Jésus ressuscité, sont donnés non à des personnes individuelles, mais à l’Église. C’est l’Église qui célèbre les sacrements et les ministres ordonnés (Evêques, Prêtres, Diacres) ne sont que les “représentants” qualifiés du ministère de l’Église tout entière. C’est ainsi que ce n’est pas le prêtre qui célèbre l’eucharistie, c’est l’assemblée croyante, et le ministre ordonné n’est que le président de la célébration et le porte-parole de Jésus Christ en raison de l’ordination reçue.
II - LES ELEMENTS CONSTITUTIFS D’UN SACREMENT A TRAVERS LES MIRACLES DE JESUS
Essayons de voir quels sont les éléments constitutifs d’un sacrement. Pour cela il convient de se référer aux signes donnés par Jésus au cours de sa vie terrestre. Prenons quelques exemples dans les guérisons opérés par Jésus comme la guérison des deux aveugles en Matthieu, celle du paralytique déposé devant Jésus par le toit de la maison ou encore la guérison d’un lépreux. Ces trois récits nous aideront à mieux saisir le sens du sacrement.
Le premier est au chapitre 9 de Matthieu : “Comme Jésus s’en allait, deux aveugles le suivirent en criant : « Aie pitié de nous, Fils de David ! » Quand il fut entré dans la maison, les aveugles s’avancèrent vers lui, et Jésus leur dit : « Croyez-vous que je puis faire cela ? » — « Oui, Seigneur », lui disent-ils. Alors il leur toucha les yeux en disant : « Qu’il vous advienne selon votre foi. » Et leurs yeux s’ouvrirent. Puis Jésus leur dit avec sévérité : « Attention ! Que personne ne le sache ! » Mais eux, à peine sortis, parlèrent de lui dans toute cette région” Mt 9, 27-31. Dans ce texte nous trouvons tous les éléments d’un sacrement : la foi (« Croyez-vous que je puis faire cela ? » — « Oui, Seigneur », lui disent-ils), le signe (“Alors il leur toucha les yeux”), la parole (en disant : « Qu’il vous advienne selon votre foi. »), l’efficacité (“Et leurs yeux s’ouvrirent.”), enfin la mission (“Mais eux, à peine sortis, parlèrent de lui dans toute cette région”). Tout sacrement fonctionne exactement de la même manière et c’est toujours Jésus qui est au centre.
Voici l’exemple du paralysé : “Or, un jour qu’il était en train d’enseigner, il y avait dans l’assistance des Pharisiens et des docteurs de la loi qui étaient venus de tous les villages de Galilée et de Judée ainsi que de Jérusalem ; et la puissance du Seigneur était à l’œuvre pour lui faire opérer des guérisons. Survinrent des gens portant sur une civière un homme qui était paralysé ; ils cherchaient à le faire entrer et à le placer devant lui ; et comme, à cause de la foule, ils ne voyaient pas par où le faire entrer, ils montèrent sur le toit et, au travers des tuiles, ils le firent descendre avec sa civière en plein milieu, devant Jésus. Voyant leur foi, il dit : « Tes péchés te sont pardonnés. » Les scribes et les Pharisiens se mirent à raisonner : « Quel est cet homme qui dit des blasphèmes ? Qui peut pardonner les péchés, sinon Dieu seul ? » Mais Jésus, connaissant leurs raisonnements, leur rétorqua : « Pourquoi raisonnez-vous dans vos cœurs ? Qu’y a-t-il de plus facile, de dire : “Tes péchés te sont pardonnés” ou bien de dire : “Lève-toi et marche” ? Eh bien, afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a sur la terre autorité pour pardonner les péchés, — il dit au paralysé : “Je te dis, lève-toi, prends ta civière et va dans ta maison.” » À l’instant, celui-ci se leva devant eux, il prit ce qui lui servait de lit et il partit pour sa maison en rendant gloire à Dieu. La stupeur les saisit tous et ils rendaient gloire à Dieu ; remplis de crainte, ils disaient : « Nous avons vu aujourd’hui des choses extraordinaires. » (Lc 5, 17-26). Nous retrouvons encore dans ce récit tous les éléments d’un sacrement : La foi, cette fois-ci non pas la foi de l’individu, mais la foi du groupe (“Voyant leur foi”), le signe, (ce n’est plus un signe de Jésus lui-même, mais des gens, ils défont quelques branchages du toit et font descendre le paralytique “en plein milieu, devant Jésus” ), la parole : ici elle est double : “Tes péchés te sont pardonnés” et “lève-toi, prends ta civière et va dans ta maison”. Et il y a bien sûr l’efficacité des paroles de Jésus : le pardon des péchés confirmés par la guérison du paralytique. Enfin comme toujours, il y a l’action de grâce et la mission : “Ils rendaient gloire à Dieu ; remplis de crainte, ils disaient : « Nous avons vu aujourd’hui des choses extraordinaires. ».
Le troisième exemple se trouve dans Luc au chapitre 5, 12-16 : “Or, comme il était dans une de ces villes, un homme couvert de lèpre se trouvait là. À la vue de Jésus, il tomba la face contre terre et lui adressa cette prière : « Seigneur, si tu le veux, tu peux me purifier. » Jésus étendit la main, le toucha et dit : « Je le veux, sois purifié », et à l’instant la lèpre le quitta. Alors Jésus lui ordonna de n’en parler à personne : « Va-t’en plutôt te montrer au prêtre et fais l’offrande pour ta purification comme Moïse l’a prescrit : ils auront là un témoignage. » On parlait de lui de plus en plus, et de grandes foules s’assemblaient pour l’entendre et se faire guérir de leurs maladies. Et lui se retirait dans les lieux déserts et il priait.” Là encore nous retrouvons les cinq éléments constitutifs d’un sacrement : la foi (Seigneur, si tu le veux, tu peux me purifier), le signe (Jésus étendit la main, le toucha), la parole (“Je le veux, sois purifié”), l’efficacité (À l’instant, la lèpre le quitta”), et enfin la mission (“ta guérison sera pour les gens un témoignage”).
De ces trois exemples, nous pouvons donc retenir les cinq éléments constitutifs d’un sacrement : la foi des gens, un signe visible, un geste en rapport avec le corps, une parole qui donne tout son sens au geste, une efficacité, guérison et/ou pardon des péchés et enfin une mission en particulier d’annonce de cette mystérieuse bonté de Dieu. Dans tous les cas, c’est le Christ qui est le centre par ses gestes et par sa parole.
CONCLUSION :
S’il en est ainsi, on peut donc dire que c’est Jésus lui-même par le ministère de l’Église qui célèbre les sacrements, plus encore qui continue sa mission de transformation du monde, de l’humanité tout entière en filles et fils de Dieu sur le chemin de la résurrection. Si l’Incarnation a été vécue à un moment de l’histoire humaine, elle continue par la médiation d’hommes et de femmes habités par l’Esprit de Jésus et s’efforçant de vivre sous sa mouvance.
C’est pourquoi il faut d’une part élargir la notion de sacrement à la vie de tous les croyants et d’autre part il convient de vivre les divers sacrements comme l’accueil d’une action du Christ ressuscité dont nous sommes à la fois les ministres et les témoins émerveillés. Certes, nous ne pouvons pas mesurer l’efficacité des sacrements, c’est le secret de chacun et un acte de foi, toutefois de très nombreux témoignages nous rapportent la transformation, si petite soit-elle, que l’action du Christ à travers les sacrements opère dans le cœur de ceux qui s’en approchent.
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