Image

DROIT SOCIAL : LE PRÉSIDENT ET L'EMPLOI

LE PRÉSIDENT ET « L’EMPLOI »

A l’issue de la loi d'habilitation n° 2020-13 du 02 avril 2020 permettant au Président de la République de prendre toutes mesures idoines afin de garantir le « fonctionnement » des institutions et éventuellement l’équilibre sociétal et social, une palette de décisions a foisonné à même de bouleverser l’esprit des lois en vigueur. Comprenons alors qu’à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles !!! 

Ainsi, le communiqué du Conseil des ministres sur «le projet d’ordonnance n° 001-2020, aménageant des mesures dérogatoires au licenciement et au chômage technique durant la période de la pandémie du Covid-19 » est venu au moment opportun pour d’aucuns (salariés) mais aussi importuner d’autres (employeurs). 

La mission régalienne de l’Etat est dans son principe caractérisée par la sauvegarde des intérêts de toutes les entités sociales. L’emploi menacé, il y a lieu de prendre des mesures urgentes pour parer à toute éventualité de dysfonctionnement. C’est dans ce sillage qu’un programme de résilience économique est ainsi déroulé pour la sauvegarde de l’emploi. Il s’agit :    

- de fixer la durée du chômage technique ;                                                                               

- d'octroyer au personnel en situation de chômage technique une rémunération en contrepartie d'un accompagnement de l'Etat ;                                                              

- d'interdire tout licenciement sauf s'il est motivé par une faute lourde du travailleur. 

Dès lors, l’Etat se prévaut de la latitude qu’Il a à faire bénéficier au secteur privé des services publics et en revanche, ce dernier joue un double rôle d’emploi, de paiement d’impôts et de taxes. L’équilibre de la terreur qui en temps normal apaisait les relations entre ces deux entités s’est transformé en une terreur de déséquilibre. Car, telle la stratégie du «bâton et de la carotte » théorisée par Machiavel, l’Etat est en train d’(im)poser tacitement aux employeurs une ligne de conduite. Le refus d’obtempérer entrainerait des sanctions peut-être imminentes ou pire encore, dans la distribution de cadeaux post COVID -19 (la théorie du mauvais élève);  l’adhésion au projet leur ferait bénéficier de faveurs et de reconnaissances (théorie du bon maître). Tout compte fait, l’Etat a toujours une carte à jouer car entre la légalité et la légitimité, la légitimité l’emporte.    

Résumons !! Le procédé est simple :                                                                                                

- Si on accepte de sauvegarder les emplois, il y aura un remboursement de crédits de TVA dans des délais raccourcis ; une remise et suspension d’impôts aux entreprises qui s’engageront à maintenir leurs travailleurs ; le différé de paiement des impôts et taxes jusqu’au 15 juillet 2020 ; la remise partielle de la dette fiscale constatée au 31/12/2019; la suspension du recouvrement de la dette fiscale et douanière ; la déduction dans le résultat fiscal futur des dons versés au Force Covid-19 ;    

- Si par contre un refus manifeste de mise en œuvre de ce procédé est constaté par l’Etat, ce dernier sévira à temps opportun et tous ces privilèges ci-dessus énumérés ne concerneront pas les récalcitrants qui ont quitté le navire pendant la tempête. Une institution particulière a tiré la sonnette d’alarme pour prévenir du danger latent qui guette le secteur de l’emploi. C’est l’inspection du travail.                                                 

Face à la pandémie, les inspecteurs du travail ne peuvent que constater les dégâts puisque non seulement les règles de procédure de licenciement ne sont pas respectées, mais encore le recours aux juridictions est périlleux car «des juridictions sont sans juge» pour reprendre les écrits d’une belle plume : le juge pénal qui a accès depuis chez lui à ses dossiers, ne peut pas juger sans audience ; le juge civil, qui pourrait juger sans audience, n’a pas accès depuis chez lui à ses dossiers…

Dès lors, la meilleure solution est d’en informer le chef de l’Etat car des milliers de travailleurs sont envoyés au chômage technique dans des conditions précaires qui ne garantissent pas le maintien de la rémunération, et les privent d’un revenu à caractère alimentaire et cela est contraire aux attentes du chef de l’Etat.  

Eu égard à ce qui précède, des mesures imminentes sont prises pour éviter une dislocation de la chaîne de combat du COVID-19 qui implique santé, social, quiétude tranquillité….   

A l’instar du principe de droit administratif relatif à l’exécution forcée, mise en œuvre par Jean Romieu, commissaire du gouvernement dans l’affaire Société Immobilière Saint-Just, le président de la république a mis en œuvre la célèbre maxime : « Quand la maison brûle, on ne va pas demander au juge l’autorisation d’y envoyer les pompiers ». Ainsi ce qui en principe est considéré comme abus, est considéré pendant l’état d’urgence comme un moyen d’adapter le droit aux urgences de la réalité et atténuer les rigueurs de la réalité.  

Quid de la portée des résolutions du Président de la République ?

L’ordonnance n°001-2020, composée de 6 articles comporte différentes mesures phares : D’une manière générale, elles portent sur le durcissement des conditions de licenciement et la garantie de revenus aux travailleurs mis en chômage technique.

D’abord, le président décrète que « tout licenciement autre que celui motivé par une faute lourde est nul et de nul effet ». A la lecture de cette résolution, on assiste impuissamment à une entorse majeure à la législation en vigueur. En effet, il ne peut être mis fin avant terme à un CDD qu'en cas de faute lourde, d'accord des parties constaté par écrit ou de force majeure ; quant ’au CDI il peut toujours cesser par la volonté de l'une des parties sous réserve des règles sur le préavis.

Ainsi, l’établissement de la force majeure et le respect des règles de préavis suffisaient comme prétexte aux employeurs pour ne plus maintenir leurs salariés afin d’éviter l’avènement d’une situation irrémédiablement compromise de leur activité. Ce subterfuge ne leur est plus accordé puisque seule la faute lourde du travailleur est retenue pour que le licenciement soit acté.

Ensuite, le président élague la possibilité offerte en de pareilles circonstances (COVID-19) à l’employeur de consulter les délégués du personnel pour décider de la mise en chômage technique de travailleurs ; il leur enjoint plutôt de voir comment réorganiser en interne pour maintenir les salariés. 

En outre, ce principe précédemment évoqué est atténué par une brèche offerte à l’employeur de procéder au chômage technique dans les limites de la loi d’habilitation. Cependant, il maintient la condition du paiement des salaires qui ne saurait être inférieur au SMIG ni à 70% du salaire moyen net des trois derniers mois d’activités.

Enfin, une obligation de disponibilité incombe au travailleur pour l’exécution de tâches ponctuelles pendant la période d’inactivité sous peine de perte du droit à une rémunération.

Quid des effets de ces résolutions ?

Face à la pandémie du COVID-19, les chaînes de travail connaissent progressivement  une cessation brutale et inéluctablement, nous assistons à une rupture. Les employés restent sans activité et sont soumis à un chômage technique qui ne garantit en principe pas de salaire. Ainsi, le salaire étant la contrepartie d’un travail effectif, la décision du président vient déroger à ce principe qui fait partie des fondamentaux du contrat de travail. Faisant fi de ces éléments, le Président de la République a décidé de ne retenir que la faute lourde comme motif de licenciement. La faute lourde, il faut le rappeler, est une faute intentionnelle dolosive ou inexcusable par maladresse du salarié. Elle découle de l’appréciation souveraine du juge.

En effet, la rigidité des mesures prises par le président ne saurait prospérer en toutes circonstances car on ne peut maintenir un personnel dont le fondement de la prestation est devenu inexistant.     

Au regard de l’environnement socio-économique, les chaînes d’approvisionnement sont presque aux arrêts, le commerce extérieur connait une rupture, les matières premières quasi inexistantes. Un malheur ne venant jamais seul, un couvre-feu est imposé et les travailleurs de nuit perdent de facto leur droit. Eu égard à ces considérations, les ouvriers sont abondants et la moisson est peu nombreuse. Donc le maître doit, suite à la conjoncture être plus flexible pour équilibrer les intérêts plutôt que de raviver les ardeurs en essayant de réinventer la roue. Comme le dit la célèbre maxime : « Oignez Vilain il vous poindra, Poignez Vilain il vous oindra ». Et Vilain en l’espèce est assimilable à l’employeur car grâce à lui, l’arrêt définitif des activités n’est pas encore effectif.

Le secteur de l’hôtellerie en est une parfaite illustration car, avec la fermeture des structures hôtelières, une partie du personnel reste illico sans objet social et doit en principe être libérée. Donc si on leur applique stricto sensu la mesure, cela conduit droit à un naufrage collectif et l’Etat en sera aussi perdant car il y aura un énorme manque à gagner post-Covid puisque ce sera la phase de restructuration et serait par ailleurs confronté à un taux de chômage plus élevé que présentement…

Un autre exemple est relatif au milieu du sport atteste des limites de cette mesure. Un club de la place dont le partenaire privilégié est de nationalité italienne et ce dernier payait les salaires des joueurs. Mais vu les circonstances, ces derniers ont gelé le contrat et sont repartis dans leur pays d’origine. L’Etat pourrait-il dès lors contraindre les dirigeants locaux de se substituer aux principaux bailleurs pour maintenir les salaires ? Les mesures fiscales prises sont louables car étant de haute protée ; cependant ce sont des mesures imminentes, pécuniaires, logistiques qui sont plus attendues afin de maintenir une lueur d’espoir de résistance. Si les entreprises ne génèrent pas de revenus, avec quoi pourront-elles tourner ? Et si elles ne tournent pas, avec quoi pourront-elles respecter leurs engagements, payer les salaires ? Il y’a donc deux poids deux mesures. Cela sonne comme l’envoi d’un missionnaire à l’aventure sans des garanties solides de secours en cas de péril mais plutôt que des promesses d’un certain salut et pire, sous de meilleurs auspices !!

Ce risque ne peut être encouru par certains employeurs de par la nature de leurs activités. Déjà, d’aucuns ne savent plus exactement à quel saint se vouer et d’autres moins impactés songent à préserver un certain équilibre qui ne garantit que  lendemains clair-obscur. C’est sur ces entrefaites que l’application de ces mesures pourrait définitivement obérer la rentabilité de certaines entreprises qui ne sont plus loin du fossé abyssal. Elles attendent plutôt une perche que d’en tendre.

Par ailleurs, la nature du fonds de soutien n’est pas explicitée et aucun employeur ne veut aller à l’aventure. Pour éviter des tensions de trésorerie et garantir le maintien de l’emploi, l’Etat peut à travers une large concertation avec le patronat, les institutions financières essayer de trouver des modalités de subventions et de financement à l’instar de la France pour le maintien des activités d’abord et ensuite la sauvegarde de l’emploi. Telle la théorie de causalité Kantienne, Si A est B sera. Donc cette relation de cause à effet pourrait dissiper les incertitudes sur le non-respect des engagements de l’Etat et pousser les employeurs à obéir car un tien vaut mieux que deux tu l’auras. 

En somme, cette mesure pourrait bien susciter des controverses car indépendamment du maintien de l’activité sociale ou des avantages sociaux, il n’en demeure pas moins que cela puisse engendrer des conséquences qui frisent à la longue la cessation définitive d’activité des entreprises. C’est le cas en matière de Recouvrement de créances, de Procédures collectives d’apurement du passif entre autres…..

Medson-G