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« Lettre aux Amoureux : L’Amour en Trois Temps ! » Par Abbé Jean Noël DIOUF, Vicaire à Ndiaganiao

Chers Amoureux,

L'amour pose mille et une questions, mille et une équations. Son langage, pourtant universel, souffre d'une carence d'unanimité, créant une multiplicité d'expériences, partagées entre différences, convergences et divergences. Pour notre petite contribution à l'édifice de l'amour, racine de la vie, rêve de l'humanité, voici que nous pensons que l'amour conjugal comporte trois temps majeurs et interdépendants qui lui donnent vie, longévité, beauté et fruit. Ainsi, la réalité de l'amour entre l'homme et la femme se construit et se conjugue selon un triple temps au mode indicatif : le passé, le présent et le futur. Hier, aujourd'hui et demain occupent la temporalité de l'être humain. Aimer quelqu'un c'est d'abord lui retracer le passé ; c'est ensuite façonner avec lui le présent ; c'est enfin envisager ensemble un futur prometteur. Tel est l'itinéraire formel que devrait emprunter toute relation interpersonnelle à vocation d'aboutir à un amour conjugal qui est un véritable cheminement synodal vers le bonheur.

  • Le Passé est la mémoire de l'amour

L'amour exige le passé comme première étape vers la connaissance de son partenaire. Chaque être aimé ou amoureux est une histoire sacrée et inviolable. Lorsqu'on devient amoureux et engagé dans une telle relation, après avoir avoué ses sentiments, parce que tombé sous le charme de l'autre, le passé de chacun compte pour écrire une page d'amour commune.

Aimer une personne suppose la restitution du passé ; c'est se souvenir des points saillants ou marquants de sa vie, c'est se souvenir des moments forts qui ont contribué à l'édification de sa personnalité. Cela s'apparente à un effort d'examen de conscience ou à un exercice de sincérité et d'authenticité tantôt facile, tantôt redoutable ; car le passé permet de situer son (sa) partenaire dans son origine, son milieu de vie, ses traits de caractère. Raconter son passé favorise la redécouverte de soi et la découverte de l'autre.

Aimer quelqu'un, c'est l'introduire avec mesure, prudence, discernement dans le jardin secret de sa vie. C'est naturellement lui poser ces questions existentielles et personnelles : D'où viens-tu ? Qui es-tu ? Quel est ton passé ? Quels sont vos meilleurs ou pires souvenirs de la vie ? Que fais-tu ? Aimer, c'est dire à l'autre : parle-moi de toi en vérité.

Cependant, il y a des blocages à ce niveau : certains n'aiment pas parler d'eux-mêmes par réserve ou pudeur. D'autres ont un passé si amère, douloureux que le fait de l'évoquer ressuscite de profondes blessures. D'autres encore ont honte de leur passé. Ils ont peur d'être jugés, abandonnés ou de perdre de l'estime, soit à cause de leurs situations de précarité ou de leur vie désordonnée ou regrettable, ayant entaché leur réputation.

Quoi qu'il en soit, aussi réfutant que soit-il, le passé de soi et de l'autre est à assumer, à intégrer, à retracer de bonne foi et avec dignité. Qui cache son passé court le danger d'être rejeté, d'être mal jugé, renié ou dénié, d'être hypocrite ou tristement cachotier. Qui se dévoile sans réciprocité et sans sagesse prend le risque d'être dénigré ou exposé sur la toile un jour.

Chers amoureux, la première pierre de l'amour s'appelle le souvenir du passé : « Si tu m'aimes, si tu veux rester avec moi, dis-moi sans peur ni feinte qui tu es ». Rappeler ou partager son passé avec l'être aimé franchement, c'est miser sur la vérité, la transparence et l'humilité comme assises de l'amour. Ce n'est pas une vaine curiosité ou une immixtion malsaine dans la vie d'autrui.

  • Le Présent bâtit l'amour

Le rappel du passé est une condition sine qua non d'existence de l'amour durable. C'est à partir de là qu'il est possible de clarifier, de conforter le désir ou l'intention d'être avec l'autre. Le présent est la deuxième étape de l'amour. C'est un vaste chantier aux nombreux acteurs et défis pour réaliser la joie et le plaisir de s'aimer à vie. L'amour conjugal se tisse et se déploie dans le réel, au jour le jour, et non dans le virtuel, la fiction ou l'imaginaire.

Aimer au présent, c’est faire acte et preuve de présence bienveillante, agissante dans le cœur et la vie de son (sa) partenaire. L’amour est apprentissage, tel un forgeron qui se perfectionne en forgeant. Celui ou celle qui aime est susceptible de commettre une erreur. Chacun est appelé en cas de préjudice ou de faute de se racheter ou de réparer son tort. C’est au présent que se développe, grandit et mûrit un amour prononcé, partagé et vécu.  Aimer, c’est apprendre à connaitre l’autre, son humeur, son éducation, ses envies, ses ambitions, ses motivations, ses qualités, ses vices, ses relations, sa fonction ou ses responsabilités, tout en se connaissant soi-même, en prenant le temps nécessaire, en vue d’une adaptation progressive et d’une potentielle transformation ou bonification.

L’intensité ou la maturité de l’amour dépend de la réciprocité des sentiments, du don de soi, de la mutualisation des forces et des moyens. La santé de l’amour évolue en termes d’attention, de confidence, de compréhension, de compassion, de communication et de pardon. L’amour au présent est proximité, partage, solidarité, tolérance, modération, lesquelles valeurs produisent un développement personnel et communautaire. Il est à la fois charnel et spirituel parce qu’engageant le corps, le cœur et l’esprit.

Aimer une personne, c’est au-delà rechercher son bien-être tous les jours ; c’est contribuer à son épanouissement chaque jour qui passe. Ce n’est pas être la source quotidienne de ses larmes, de ses lamentations, de ses gémissements, de son malaise. Malheureusement, au présent, l’amour peut rencontrer des embûches et des impasses à tel point qu’il fait si mal au cœur. Les maux de l’amour se nomment aujourd’hui entre autres trahison, infidélité, déceptions, incompatibilité d’humeur, frustrations, jalousie, rancune, haine, abandon, tiraillements, mensonge, violences, irresponsabilité, divorce. Ainsi s’amenuisent ou même disparaissent la bonté, la beauté, la noblesse de l’amour conjugal, rendu objet de scandale et de dépréciation.

En réalité, quand on s’aime naturellement, on est compatible, on se complète, en se rendant compte que nul n’est parfait. On s’enrichit des qualités d’autrui, on supporte ses caprices, ses défauts, en sachant que l’être humain est capable de changement. On pardonne beaucoup et souvent, même quand c’est inadmissible ; on excuse gentiment, étant donné que chacun peut se tromper et faillir tôt ou tard. Quand on aime positivement, on s’émerveille de l’autre, on apprécie ce qu’il est et ce qu’il fait, on prend plaisir à être ensemble et non à s’isoler, on fait route en commun malgré les hauts et les bas, les difficultés sur le passage. Quand on aime fort, on accepte les critiques constructives, les tendres reproches, les différences, les contradictions, voire les oppositions par moment ; on cherche patiemment les bonnes solutions en refusant de garder un silence coupable ou une distance méprisable qui n’arrange pas la relation amoureuse.

Chers amoureux, il ne faut point oublier qu’aimer c’est mystérieusement choisir, reconnaitre, distinguer, préférer une personne qui n’est pas un instrument, mais un trésor, une valeur sûre, une promesse. Et donc « Je T’aime » ne doit plus simplement traduire un coup de foudre, un sentiment léger, égoïste et passager. Bien plus, l’amour au présent, second cap à franchir, implique l’affection, la douceur, la véracité des paroles et des gestes, la stabilité, la constance, la fidélité pour s’inscrire dans la durée et le témoignage de vie. Fût-il pénible et éprouvant, l’amour espère toujours.

  • L’amour a un Avenir

Si le passé balise le terrain de l’amour, le présent l’assainit voire assure sa croissance, et le futur vient lui donner un avenir. Aimer quelqu’un, c’est en fait rêver de beaux jours. Cela est d’autant plus vrai qu’au premier contact, aux premières heures d’une déclaration d’amour, au commencement d’une telle relation, certains s’adonnent à une séance de promesses, comme s’ils prononçaient des vœux solennels ou prophétiques. L’amour en tant qu’avenir et promesse, telle est la troisième étape du cheminement des amoureux.

Vraisemblablement, l’amour donne des ailes grâce à sa puissance de séduction et à sa force énergétique. Vécu avec romantisme et lyrisme, il fait voyager dans une planète paradisiaque, secrétant des sensations indescriptibles, où se rencontrent le merveilleux et l’agréable. A cette allure, il est permis de parler du futur, tant le présent enchante et rassure.

Un amour sérieux et optimiste envisage et embrasse l’avenir. Il est doté de clairvoyance et de vision. Un amour instable, individualiste, dispersé, superficiel, calqué sur des calculs ou des intérêts partisans, appréhende le futur. Pourtant l’amour se nourrit d’ambitions et de sages décisions ; il est porteur de fruits. Comme projet de vie commune, il s’appelle mariage, foyer, famille, enfant et autres bienfaits ou acquis. Le support de cet avenir est la confiance, l’unité, la complémentarité, la patience, la persévérance pour obtenir une fin heureuse. Si l’amour ouvre des perspectives, s’il est un moyen de projection dans le temps et l’espace, il demande une planification concertée, un réalisme serein et une collaboration soutenue.

Toutefois, l’avenir de l’amour peut être obscurci ou anéanti par des barrières ethniques, claniques, religieuses, des blocages familiaux, professionnels ou personnels, des considérations obscurantistes et obsolètes qui entravent le processus de donation à son (sa) partenaire de choix et de cœur. Les belles promesses peuvent devenir des menaces et les grands projets tomber à l’eau. Le bon départ peut mal finir. Et la montagne accouche d’une souris.

Chers amoureux, en dépit des inconnus de la vie, des inquiétudes de notre temps, des crises de la vie en couple, croyez encore et toujours à l'amour, qui défie le temps et les âges, construisez-le sur des pierres vivantes ( les valeurs humaines) en trois temps, bâtissez-le sur le Roc éternel, le Maître de la vie, en qui se résument le passé, le présent et le futur. Dieu est le Même hier, aujourd'hui et demain. N'ayez pas peur de vous engager un jour et de renouveler cet engagement d'amour chaque jour avec simplicité et effort. Oser rêver est la dernière roche qui élève le sanctuaire de l'amour au sein duquel chaque être aimé est un temple à respecter et à entretenir. Qohelet a avoué qu'« il y a un temps pour tout, un temps pour toute chose sous les précieux » (Qo 3,1). Mais il reste indéniable que l'amour ne passe ni ne passera jamais. Et donc, « aimez-vous les uns les autres » (Jn 13, 34).

Bonne méditation !

Abbé Jean Noël DIOUF, Vicaire à Ndiaganiao